Comptes-rendus de l'ouvrage
1- CR réalisé par Bernard COUTY dans la revue Tétralogiques, 2023, n° 28 :
Conclusion de ce CR :
« Les lecteurs familiers de l’anthropologie clinique, particulièrement de la théorie de la Personne, auront pu saisir la puissance explicative d’un modèle qui, parce qu’il permet également une critique épistémologique fondée sur des bases scientifiques, bouleverse les sciences humaines.
Au terme de cette lecture, l’intérêt se décentre de l’adolescence vers l’émergence à la personne, d’une construction sociale historiquement datée (et probablement appelée à disparaître historiquement) vers une loi anthropologique générale. Le projet initial, s’il était bien celui que j’ai évoqué dans l’introduction de ce travail, est donc pleinement réalisé.
Sans négliger les manifestations de l’adolescence, qui posent historiquement de multiples problèmes que la société doit prendre en compte, l’essentiel est bien ce moment de rupture, de franchissement d’un seuil, faisant accéder à des processus dialectiques : la naissance au social qui marque le passage de l’enfance à l’âge adulte. La perspective s’en trouve modifiée, dans la mesure où l’on passe du descriptif – la littérature sur la question est pléthorique comme elle est contradictoire – à l’explicatif. Expliquer permet d’avoir prise sur le phénomène, en l’occurrence de le traiter plus efficacement que ne le permet l’empirisme.
Je ne saurais trop recommander la lecture attentive de cet ouvrage. »
2- CR réalisé par Regnier PIRARD dans la revue Psychologie clinique, juin 2023.
Extraits :
« Cet ouvrage n’est pas à proprement parler un livre de plus sur l’adolescence. On y trouvera, bien sûr, la description de maints comportements récents qui apparaissent dans cette classe d’âge et sont très finement décrits par l’auteur. Mais au-delà de toute « rhétorique » sociologique stimulant la curiosité, a fortiori au-delà des recommandations éducatives qui ne peuvent venir qu’avec circonspection et de surcroît, Jean-Claude Quentel interroge l’anthropologie sous-jacente permettant de penser la bascule de l’enfance à la vie adulte. […]
L’auteur, qui entend parfaitement le discours psychanalytique mais ne s’y range pas lui-même – le lecteur comprendra pourquoi –, souligne l’importance de penser la rupture à la puberté entre le fonctionnement psychique de l’enfant et celui de l’adulte. Rupture non pas à tous égards, mais du point de vue de l’émergence à la Personne, dira Jean-Claude Quentel à la suite de Jean Gagnepain, dont il fut l’élève. […]
Naître au social, ça démarre à cet endroit. Et cette naissance s’étire bien au-delà des frontières toutes relatives de l’adolescence. Il y a eu passage à vide, absence, mort symbolique. L’enfant a subi dans son corps une métamorphose qui le bouleverse et le projette dans un autre monde, le monde de l’Autre justement. Il éprouve désormais sa radicale contingence et celle de toute chose. Il se singularise au risque d’une insularité qu’il lui faut aussitôt conjurer. Autrement dit, il est entré par le truchement de son corps transformé dans ce que Quentel, à la suite de Gagnepain, appelle la dialectique de la Personne. […]
Le lecteur trouvera dans le livre de Jean-Claude Quentel de larges développements sur ce que l'exercice nous force ici à condenser outrageusement. Nous avons voulu viser le cœur du problème ad usum analyticorum, qui sont parfois gens pressés et, comme tout le monde, rassurés par leurs habitudes mentales. Mais une pensée authentique doit toujours supporter l'inquiétude et prendre le temps de la réflexion. Dès lors, suggérons à nos collègues de commencer par lire la conclusion du livre et se laisser interpeller, puis d'en remonter le cours. On peut leur garantir qu'ils feront un beau voyage. S'ils sont attentifs, peut-être découvriront-ils, à parcourir le territoire, qu'ils sont en train de suivre un GPS (Grand Plan de Secours pour sciences humaines), autrement dit un modèle épistémologique sous-jacent, d'une forte puissance heuristique. Ils en trouveront les coordonnées dans l'ouvrage. C'est une sorte de jeu de piste. »
3- CR réalisé par Alain DUBOIS dans la revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe, 2022/2, n°79, p. 232-236
Extraits :
« Voici un livre qui fait suite à deux ouvrages importants intitulés, l’un, “L’ enfant. Problèmes de genèse et d’histoire” (De Boeck, 1997), et le second, “Le parent. Responsabilité et culpabilité en question” (De Boeck, 2008). Celui-ci était en quelque sorte attendu et il constitue, comme les précédents, une somme sur la question de l’adolescence. […]
Pour qui n’est pas familier des travaux de Jean-Claude Quentel, il lui faudra s’initier, à quoi invite de façon très pédagogique l’auteur, à la théorie de la Médiation, un corpus élaboré autour de Jean Gagnepain ayant pour objet la raison humaine, qui n’est pas que « langage » et la manière spécifique dont l’humanité médiatise son rapport au monde en produisant le Signe, l’Outil, la Personne et la Norme, quadruple médiation dont la mise en évidence a résulté d’une recherche fondée sur une méthode d’ anthropologie clinique […]
Ce modèle, tiré de l’analyse du langage par ses troubles, sera analogiquement appliqué aux autres domaines, de manière très heuristique et, pour ce qui concerne la question centrale de l’adolescence, au domaine de la personne et du social. Et donc aux questions de l’identité et de la responsabilité. C’est le fil rouge du livre.
[…] notre auteur n’a jamais cessé de dire et démontrer qu’à l’enfant il ne faut pas prêter ni plus ni moins qu’il ne peut. Et l’une de ses conférences portait un titre « L’enfant n’est pas personne » à contre-courant d’une vulgate contemporaine insistante. La portée du propos s’éclaire à la lecture du livre. L’enfant, en effet, n’est pas encore une personne, il participe de la personne de ses parents, il tient sa personne par procuration, il ne l’a pas de plein droit, à la différence de l’adolescent qui y accède et qui, pourtant, se retrouve dans un statut, précisément celui de l’adolescent, dans nos contrées et à ce moment d’histoire, qui s’apparente à une « enfance de culture », à une minorité sociale et juridique (jusqu’à 18 ans). Et cependant cet adolescent fait l’épreuve de la sortie de l’enfance, de sa naissance au social, de sa seconde naissance, et c’est un boule- versement identitaire de grande envergure qui vient s’ajouter aux transformations de son corps.
Jusque-là sujet assujetti à ses parents, personne en devenir, voici que celui qui sort de l’enfance est travaillé implicitement par la question « qui suis-je ? » qui témoigne de son saut dans le moi, de sa subjectivation, de son accès à cette énigmatique et indéchiffrable personne qu’il est tout n’étant pas ou plus, il ne tient plus son être de quiconque, il devient capable de relativiser tout ce qui a tenu jusque-là autour de lui […]. Quand le soi émerge, dans une sorte de coupure des liens de dépendance qui furent l’ordinaire de l’enfance, il décoïncide de ce qui faisait garant, repères jusque-là, il se voit sans être substantiel, sans définition, jeté dans l’existence, et ce « je » fait l’épreuve double de sa contingence et de l’arbitrarité de sa condition. Mais pourquoi donc les Anglais roulent-ils à gauche et nous à droite ? Le voici confronté à l’arbitraire de la Loi et des usages dont toute l’enfance l’a imprégné. Il rejoint, dans une expérience inédite, singulière, l’humanité de chaque un, fait l’épreuve d’une altérité radicale (« Soi-même comme un autre »), de la sienne et de celle d’autrui, de celle de ses plus proches aussi. Ce mouvement intérieur de distance à soi (d’absence) le retire de toute adéquation exacte aux appartenances, quelles qu’elles soient, en le faisant différent de sa différence même, le voici mis à la source de lui- même et devenu capable d’engager des liens comme de les rompre, de négocier, d’exister en son nom propre. Il lui faut se donner des repères, s’autoriser de lui-même. Ainsi, se séparant, il devient capable de jeter des ponts par-dessus le fossé qu’il a lui-même creusé.
Cette capacité émergente de Personne lui permettra d’ acculturer l’ ordre nouveau ou plutôt la mise en désordre que constituent, chez le pubère, la sexualité et la génitalité (le sexus et le partus, selon les termes de Jean Gagnepain, orfèvre en précision terminologique) en un mouvement premier négateur de cette positivité naturelle qui va consister dans la capacité de se donner des frontières – le mien/le non-mien, mon « sexe »/l’autre « sexe » – de se couper de toute appartenance, de se faire autre, dans « un n’être pas ou n’en être pas ou plus », processus d’abstraction lui conférant une distance à tout soi compact comme à toute communion avec autrui (sur un mode participatif sans reste ni manque, « incestuel »), les rapports sociaux pouvant alors être réinvestis dans la reconnaissance mutuelle d’ une altérité constitutive. Ainsi la Personne, et l’adolescent faisant fonctionner cette capacité d’absence, de retrait, de quant à soi, devient promotrice de sa propre histoire et, à son tour, « le premier homme » selon la formule de Jean Gagnepain rappelée par Jean Claude Quentel.
[…] Le nouveau positionnement de celui ou celle qui n’est plus un enfant, la mise en œuvre de ses capacités nouvelles entraînent toutes sortes de conséquences que l’auteur examine avec soin, ce sera le plaisir du lecteur de découvrir ou de retrouver ces développements. Ainsi sera-t-il question aussi bien des cultures adolescentes, du rapport au corps, au langage, à la technique, au sexe et à l’amour, mais encore à la vie sociale et politique. Les divers modes d’expression des difficultés, qu’on traduit ordinairement par les troubles psychopathologiques spécifiques de ce moment de vulnérabilité particulière, troubles des conduites, agir, suicide, etc. sont éclairés de manière vive et très convaincante, recoupent globalement ce que nous disent les spécialistes de l’adolescence, en y apportant cependant la précision conceptuelle nous permettant de déconstruire le concept de subjectivation pour en comprendre mieux les tenants.
L’auteur clôt le livre sur une réflexion d’ampleur à propos de la jeunesse, concept plus sociologique et marque de nos sociétés tournées vers l’avenir et l’innovation. Le jeune, modèle enviable mais souvent maltraité, est aussi, on l’a vu, celui qui accède à la production du social, qui vient, par la créativité qu’il déploie, bousculer les installés et contribuer ainsi à la transmission/transformation des collectifs et de la société globale. Enfin Jean-Claude Quentel, avec le modèle dialectique de la théorie de la médiation, nous propose une approche très innovante dans le débat qui oppose les sociologies holistes aux approches individualistes (sociologie de l’acteur, par exemple) avec la notion de personne, porteuse du social et de l’histoire, mais aussi sociabilisée et sociabilisante, dans telle société particulière et dans tel moment d’histoire en cours.
Le format réduit d’une note de lecture ne permet pas de s’étendre davantage, souhaitons qu’elle ait pu donner au lecteur le désir de s’approprier à son tour le contenu d’un ouvrage en tout point remarquable, qui sera, à mon sens, comme les précédents, une référence du domaine. »